Avec la création, Dieu rangea, tria, sépara le ciel et la terre, et « les eaux d’avec les eaux ». Sans rangement, aucun monde n’est vivable. Dire de quelqu’un qu’il est un peu dérangé signifie « il va vraiment mal ». Et quand le téléphone est en dérangement, rien ne va plus : on ne s’entend plus, on ne se parle plus. Notre souci actuel pour l’écologie, pour le soin à apporter à la planète face aux dérèglements climatiques, aux séismes et tempêtes de plus en plus violents relève lui aussi d’une certaine façon de ce souci de remise en ordre.
Régulièrement, à chaque début d’année, nous nous employons à prendre de bonnes résolutions. C’est une façon de dire : « Dorénavant, ma vie sera mieux rangée, je remise dans un coin de mon esprit les idées et espoirs vains afin de redémarrer sur de nouvelles bases. » . Le grand ménage de la maison s’effectue, lui, au printemps, période de renaissance après l’inhibition hivernale. Nous nettoyons, réordonnons, jetons le superflu, comme si seul l’essentiel devait subsister, dans notre lieu de vie et dans notre esprit. Il y a là, la répétition des rites ancestraux de purification, mais également, souvent, le fantasme de se reconstruire une virginité. En fait, aussi anodin et quotidien qu’il paraisse, l’acte de ranger est chargé de significations plurielles.
Ranger revient à refuser de se laisser envahir par le chaos, la confusion. C’est vrai pour notre monde intérieur, notre pensée, et pour notre lieu de vie. Notre première activité de rangement consiste donc à apprendre à penser, c’est à dire à classer, à établir des lignes de partage. Toutefois, pour acquérir une pensée vivante, féconde, il convient de dépasser celle binaire étriquée – vrai/ faux, juste/injuste, bien/mal – en acceptant la contradiction, le flou, sans en avoir peur. Attention donc à la rigidité intellectuelle, au rangement maniaque, où chaque objet doit demeurer à sa place sans bouger d’un millimètre, car cela peut être le symptôme d’un besoin de se protéger de l’inconnu....
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